
Fake news
De grands reportages, Chloé en avait déjà fait. En 2022, elle arrivait tout juste à la rédaction du journal et devait faire ses preuves. Elle acceptait toutes les missions. Son rédacteur en chef lui avait demandé d'aller en Ukraine, objectif : montrer que l'attaque de la maternité de Marioupol était un coup médiatique des Ukrainiens et qu'il n'y avait jamais eu de civils dans les bâtiments. Après la diffusion d’images d'une femme enceinte évacuée, qui était soi-disant morte à la suite de l'attaque, son chef voulait prouver le coup monté pour rester dans les bonnes grâces de la future présidente de la République. Chloé et deux journalistes s'étaient rendus immédiatement sur place. Trois jours et deux nuits seulement. Le temps d'interviewer quelques témoins, de prendre des photos et les journalistes pouvaient passer à autre chose. L'article était déjà écrit, alors le déplacement, c’était pour la forme. Chloé détestait la politique internationale, en particulier les reportages de guerre. Elle préférait laisser ça aux gauchistes qui pensaient résoudre à eux seuls des conflits qui les dépassaient. Chloé, ce qu'elle aimait vraiment, c'était suivre la politique française, en particulier les déplacements de Marine Le Pen. Une grande femme qui allait enfin pouvoir faire bouger les choses. Et pour ça, la journaliste devait faire ses classes. Alors en mars 2022, quelques semaines avant l'élection, elle était partie en Ukraine.
L'équipe arrivait bien tard. Il ne restait plus grand monde sur place. Des problèmes d'autorisations puis d'accès, les journalistes de Valeurs Actuelles n'étaient apparemment pas les bienvenus, mais ils avaient tout de même réussi à accéder au site des bombardements. Les Ukrainiens avaient fait les choses bien, il fallait le reconnaître ! Des vêtements sur le sol tâchés de rouge, du matériel médical éparpillé, des jouets dispersés sur le sol boueux. Ils avaient même laissé des landaus et des civières ça et là. Les bombardements avaient eu lieu, c'était une certitude, en revanche aucun civil n'était présent à l'intérieur du bâtiment. Tout le monde savait que la maternité avait été évacuée dix jours avant et que les lieux servaient de base militaire aux Ukrainiens. Une technique de guerre bien connue pour faire un bon coup de com' au cas où les ennemis attaquaient. Et la Russie avait attaqué. Si les journalistes de Russia Today n'avaient pas été immédiatement sur place pour prouver la mise en scène, tout le monde aurait pu croire que c'était vrai.
En se baladant dans les décombres, Chloé avait trouvé une chaussette de nourrisson. Les Ukrainiens avaient imbibé du sang sur la laine pour tenir leur scénario jusqu'au bout. Ils étaient vraiment sordides, mais chaque détail comptait. Ce détail-là, elle l'avait gardé et l'avait ramené chez elle, à Paris, pour se rappeler que les symboles et les images pouvaient permettre de manipuler la population. Une chaussette de nourrisson ensanglantée, ce n'était pas très joyeux comme souvenir, néanmoins ça lui permettait de garder la motivation, de garder le cap. Lutter contre les fake news était son objectif, sinon dans un an, la gauche pouvait arriver à la présidence et ça, il n'en était pas question ! En 2027, Marine Le Pen devait enchainer sur un second mandat et Chloé allait tout faire pour que ça arrive. La France pouvait compter sur elle !
Fanny Destenay