Il suffit d’écouter les femmes

Léa Veinstein

Editions Flammarion - INA
272 pages - 21€
Droit des femmes, société, santé

Elles sont des femmes de tous horizons et de toutes les régions de France. Adolescentes ou jeunes adultes, elles ont été confrontées, avant la loi Veil de janvier 1975, à l'événement qu'est un avortement clandestin. Au printemps 2024, l'Institut national de l'audiovisuel a entrepris une collecte d'envergure sur le vécu ordinaire de l'avortement clandestin. Mises en récit par Léa Veinstein, les paroles qui forment ce livre sont un maillon essentiel de l'histoire des femmes et un puissant appel à la vigilance.

Mon avis sur “Il suffit d’écouter les femmes

L’INA s’est associé avec Flammarion pour créer ce super recueil de témoignages Il suffit d’écouter les femmes. Tiré du discours de Simone Veil lors du projet de loi sur la légalisation de l’avortement, ce recueil reprend le travail de l’INA qui a recueilli le témoignage de 74 femmes sur leur avortement effectué entre 1950 à 1975. Léa Veinstein qui s’est chargée de la création de l’ouvrage ajoute des éléments historiques, son ressenti lorsqu’elle a  travaillé sur ce livre et fait un travail de liaison entre les témoignages.

J’ai vraiment adoré ce livre, car il est très vrai, très brut, sincère et unique. Les témoignages sont très variés, certaines parlent d’un avortement qui s’est plutôt bien passé, d’autres une vraie torture, les femmes reviennent sur le stress de se faire prendre par les autorités ou de décéder sur ces nappes cirées installées sur la table de la cuisine. Certaines sont accompagnées d’un petit ami et d’un collectif de soutien comme Choisir, d’autres sont seules au monde. Certaines sont bien accompagnées par un personnel médical compréhensif et d’autres vivent le martyr pour recevoir « une bonne leçon ».

Quelques témoignages m’ont particulièrement marqué. Celui d’une femme belge qui a été avorté de force en France alors qu’elle était enceinte de 6 mois. Et de force, c’est pas juste qu’ils l’ont convaincu puisque des hommes l’ont maintenu les jambes ouvertes pendant qu’une femme lui enfonçait une aiguille à tricoter dans l’utérus jusqu’à transpercer le bébé dans le ventre de sa mère. Un autre témoignage aussi m’a bouleversé. Une femme avait demandé une solution à son gynécologue homme, qui lui a indiqué sur son propre frère faisait des avortements. Elle s’est rendue chez lui et heureusement cette femme était accompagnée de son petit ami, car le frère en question V les femmes qui se rendaient chez lui. Et ces victimes ne pouvaient pas porter plainte puisqu’elle était déjà dans l’illégalité. Donc le gynécologue et son frère organisaient des guets-apens pour V des femmes de 16 ans en détresse. Évidemment ce sont les témoignages les plus choquants, mais d’autres sont plus légers, certains plus timides. La diversité des récits fait vraiment la force de ce livre.

Certaines femmes reviennent aussi sur les possibilités d’avorter à l’étranger en suisse, aux Pays-Bas ou en Angleterre, avec l’association Choisir qui accueillait ses femmes et les aidait dans les démarches. Il y a aussi les proches des victimes qui ne s’en sont pas sortis, que ce soit des sœurs ou des filles qui reviennent sur le tabou de l’événement. On a aussi le témoignage de certains hommes accompagnateurs et d’autres du secteur médical qui proposaient des avortements.

Au-delà des émotions transmises dans ce livre j’ai appris beaucoup de choses sur l’avortement illégal. Mais aussi sur la pilule ou sur l’éducation à la sexualité inexistante. On en apprend beaucoup sur l’époque et à quel point les femmes étaient coincées. Par exemple une femme expliquait qu’elle avait subi 8 avortements avant ses 32 ans, car son mari refusait qu’elle prenne la pilule, par peur qu’elle ait des relations extra-conjugales. L’avortement était aussi la conséquence d’une emprise des maris sur le corps des femmes. Je peux en parler des heures.

C’est un livre que je recommande fortement aux femmes et surtout aux hommes, pour qu’on se rende tous compte de l’évolution du droit des femmes depuis les années 50 et comprendre à quel point il est précieux de garder notre système de protection des femmes qu’est l’éducation à la sexualité, la pilule et le droit à l’avortement.

Un dernier mot, aujourd’hui l’avortement est strictement interdit dans 24 pays et autorisé dans 49 uniquement si c’est pour des questions de santés, 25 millions d’avortements non sécurisés sont effectués chaque année et 39 000 femmes meurent des suites d’un avortement illégal. En France, l’avortement est autorisé jusqu’à 14 semaines de grosses, il est gratuit, anonyme. Pour toute question vous pouvez vous renseigner auprès des Plannings familial, de votre médecin, de votre gynécologue ou à l’hôpital.