Immigration mon amour - décembre 2023

Lundi 11 décembre

« Votants 548, exprimés 535, majorité 268, pour 270, contre 265, l’Assemblée nationale a adopté ». Yaël vient d’annoncer le plus gros revers politique du gouvernement depuis la rentrée. Le texte du projet de loi immigration ne sera même pas discuté en séance publique. Les deux extrémités de l’Assemblée sautent de joie et applaudissent, quelques « Gérald, démission ! » fusent des bancs de la gauche. Le ministre de l’Intérieur n’en revient pas. Depuis un an et demi, plus de trente personnes travaillent sur ce projet à plein temps, ajouté à cela, un mois de discussions au Sénat et deux semaines en commission des Lois. Il aura suffi d’une motion de rejet pour que l’examen du texte soit immédiatement stoppé.
« Bien joué » lance-t-il à Olivier, son collègue de l’opposition, qui a réussi à garder secrets les votes des députés de droite jusqu’au bout.

– Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? lui demande Sabrina.
– Déjà, je vais partir d’ici, hors de question d’écouter Marine et Mathilde exprimer leur joie auprès des journalistes dans la salle des Quatre Colonnes.
Le brouhaha des députés diminue petit à petit dans l’hémicycle du Palais Bourbon.

Viens me voir.

– Voilà, je sais ce que je vais faire. Emmanuel m’attend à l’Elysée, répond-il à Sabrina, en lui montrant le texto qu’il vient de recevoir.
Malgré un visage confiant, souligné d’un sourire de façade, son ventre commence à se nouer. Et si c’était la fin ? Impossible, se dit-il, la seule évolution possible, c’est Matignon. Hors de question que je parte maintenant. 

Déjà sur les chaines d’info en continu, les analystes politiques se déchainent pour imposer leur vision de la situation. Après deux mois d’actualité en boucle sur le conflit Israël-Hamas, cette crise politique leur apporte une bouffée d’air frais. Edition spéciale, reporters sur le terrain, on se croirait au printemps 2022 !
“– Mais où étaient vos cinq collègues absents ? Vous savez que s’ils avaient voté, vous auriez eu égalité et la motion aurait été rejetée
– Vous qui êtes proche de Gérald, comment réagit-il ?
– Selon vous, le meilleur choix, c’est un retour du texte au Sénat ou la commission mixte paritaire ?”
Maud regrette déjà d’avoir accepté ce plateau. Seulement quelques minutes après le vote, la voilà assenée de questions auxquelles elle ne peut pas répondre.
“– Mes collègues n’en avaient apparemment rien à foutre de ce projet de loi, puisqu’ils n’ont pas pris leurs dispositions pour arriver à temps ou voter par procuration.
– Eh bien, Gérald est dans la merde et il sait pas comment il va s’en sortir.
– Le meilleur choix, c’est de dégager ces racistes et ces gauchos pour faire adopter le texte.”
Langue de bois oblige, la seule réponse acceptable sera : « Je vous trouve durs avec moi, alors que je suis là à répondre à vos questions. Ce que je peux vous dire, c’est que l’adoption de cette motion de rejet me désole, c’est vraiment le mariage entre Eric et Sandrine, c’est l’alliance entre l’extrême gauche et l’extrême droite. Ils auront à en répondre devant leurs électeurs ». Les journalistes savent qu’ils ne pourront rien obtenir de plus de la députée centriste, autant se concentrer sur les élus d’opposition qui prennent un malin plaisir à démontrer l’immobilisme du gouvernement et à rappeler les nombreux 49.3 qui ont également limité le débat depuis la rentrée. Le journaliste coupe le député Ecolo, lancé dans sa tirade contre le gouvernement, qui continue son plaidoyer malgré la reprise de parole par l’animateur : « Priorité au direct, Anthony, vous avez des nouvelles de l’Elysée ? »

« Entre Gérald ! » Le Président, assis les jambes croisées sur le fauteuil beige, ne quitte pas des yeux les feuilles qu’il garde entre les mains. Alexis, son plus proche conseiller, est debout devant la fenêtre, les yeux rivés sur la fontaine au milieu du parc. Comme à son habitude, il ne dit rien. Tout a déjà été convenu avec Emmanuel.
Ce n’est pas la première fois que Gérald entre dans ce bureau si imposant, mais cette fois-ci, c’est spécial. Est-ce le moment qui le rend fébrile ou bien est-ce parce qu’il s’imagine un jour, lui aussi, convoquer le ministre de l’Intérieur et sentir qu’il a le droit de vie ou de mort sur lui ? …Ou du moins, le droit de congédier immédiatement le numéro trois du gouvernement ?
Debout à quelques mètres de la porte, Gérald commence à réciter les quelques phrases qu’il a préparées à la hâte dans la voiture.
– Monsieur le Président, je viens vous remettre ma démission. Dans les circonstances actuelles, il est de mon devoir de…
– Arrête avec ça, viens t’asseoir ! le coupe immédiatement Emmanuel. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
– Ils nous l’ont fait à l’envers ! Oliver m’avait dit que c’était bon, qu’il allait demander aux députés de droite de voter contre en échange d’un durcissement du texte sur l’article 3.
Plus détendu, la colère l’emporte sur le stress et Gérald reprend confiance.
– Il nous a manqué des votes de la majorité ! De notre propre camp ! Je vais voir Sylvain demain. S’il n’arrive pas à mobiliser tous les députés du centre, il peut dire adieu à son poste de Président de groupe.
– Ne te soucie pas de ça, je m’occupe de Sylvain. Toi, tu trouves une solution avec Elisabeth. D’ici demain 7h30, je veux trois scénarios sur mon bureau. On tranche de notre côté et, en Conseil des ministres, on annonce notre stratégie. Pas le temps de laisser les oppositions créer leur propre histoire.
– Bien, Monsieur le Président.
– Et Gérald…, lance Emmanuel au ministre qui se dirigeait déjà vers la porte, une fois pas deux ! Tu viens d’utiliser ton joker. D’autres n’ont pas eu cette chance !

La menace est claire. Gérald ne laisse pas transparaitre son stress qui l’a saisi à nouveau, en quelques secondes. Il salue dignement le Président et quitte le bureau doré. Alexis, qui n’a pas perdu une miette de la conversation, lance un regard au Président.
– Dissolution ?
– Pas pour l’instant, attendons de voir !

Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants
ou ayant existé serait purement fortuite
et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence.

Fanny Destenay