INTERVIEW de Axelle LEVELUT
Directrice du cabinet du maire d’Annecy
Contexte : Le 8 juin 2023, un individu attaque au couteau six personnes, dont quatre enfants en bas âge, sur le Pâquier, à Annecy. Aucune victime ne décédera des suites de leurs blessures. Le caractère terroriste de l’attaque est rapidement écarté.
FANNY DESTENAY
Comment avez-vous réagi quand vous avez appris l'attaque au couteau ? Quelle a été votre réaction et pourriez-vous me raconter la chronologie de vos actions de communication ?
AXELLE LEVELUT
C'était une situation tout à fait exceptionnelle pour la ville d'Annecy et même historique. Il n'y avait pas forcément de précédents ni de manuel de crise prêt pour gérer cette situation. Mais on estime que, de notre côté, l’enchaînement des événements s’est déroulé au mieux, au vu de la terrible situation.
La crise s'est déclenchée le 8 juin dernier (2023), un jeudi matin. Nous étions en comité de direction et il se trouve que j'ai une connaissance qui était témoin de la scène, sur le Pâquier. Elle m’a tout de suite appelée, dans la panique de l'action. J'ai compris qu'il se passait quelque chose de grave et quelques minutes seulement après, nous avons reçu les alertes officielles. Nous avons des systèmes internes de diffusion de l'information pour prévenir en cas d’incidents.
FANNY DESTENAY
Ce sont des systèmes automatiques gérés par la police ou par la mairie ?
AXELLE LEVELUT
Nous avons un système interne géré par la police municipale. Il y a plusieurs façons de remonter l'information du terrain : nous avons des caméras et, bien sûr, des hommes sur le terrain.
Il y a une première alerte courriel qui est envoyée à l'ensemble des équipes de direction de la ville qui doivent être mobilisées. Là, on est vraiment dans les premières minutes après l'attaque. Quand nous sommes arrivés sur place, l’assaillant avait déjà été neutralisé et les premiers secours étaient là pour procéder aux soins d'urgence auprès des enfants dans le petit parc et auprès des adultes qui avaient été blessés également.
FANNY DESTENAY
Est-ce que vous êtes allée sur place immédiatement ?
AXELLE LEVELUT
Oui, tout à fait. Quand j’ai reçu l'appel de mon ami témoin qui était sur place, il y a eu quelques mots-clés qui ne trahissaient pas : attaque, couteau, un fou… Donc il n'y avait aucun doute sur le fait qu'il fallait se rendre sur place avec le maire. En une dizaine de minutes, on était sur site. Bien sûr, quand on est arrivé, on s'est assuré qu'on ne se mettait pas nous-mêmes en danger. Dans ce cas-ci, la situation était maîtrisée, même si nous ne savions pas encore à ce stade si c'était un acte isolé ou une attaque de grande ampleur, plus organisée. Puis, en une demi-heure, les différentes autorités sont arrivées.
Il se trouve que la préfecture et le Tribunal d’Annecy sont juste à côté du Pâquier, donc le préfet et la procureure se sont vite joints à nous, puis nous avons été rejoints par le chef des pompiers, le chef de la police, le chef de la gendarmerie, différents acteurs et leurs directions. Rapidement, pour ce type de crise, c'est l'État qui prend la main. Donc le maire devient un protagoniste comme les autres autour de la table dans la cellule de gestion de crise. Il a autorité sur la police municipale, mais pas sur la police nationale ou sur la gendarmerie. Ce type d’affaires est traité par le parquet, c'est donc l'État qui a la légitimité pour coordonner l'ensemble des acteurs.
La cellule de crise s’est montée rapidement en préfecture, avec les protagonistes que je vous ai cités et moi-même. Au même moment, je donnais quelques détails aux équipes internes de la ville afin qu’elles s’organisent aussi en cellule de crise de leur côté.
FANNY DESTENAY
Comment est-ce que vous les aviez contactés ? Vous aviez un système de groupe WhatsApp ou de diffusion de courriels ?
AXELLE LEVELUT
Par téléphone. Dès que j'ai eu les premières informations, j'ai appelé. Le téléphone reste le canal le plus sûr. Et nous avons également des messageries instantanées qu'on utilise en cas d'urgence comme celle-ci, avec des groupes de diffusion. Ça permet de partager des informations rapidement. Lorsqu’on doit partager des documents ou du contenu plus dense, plus structuré, on passe par les courriels. Lors de l’attaque au couteau, j'avais appelé l'équipe à l'Hôtel de Ville pour qu'ils puissent commencer à s'organiser, à faire de la veille presse et réseaux sociaux. Ça, c'est très important, pour commencer à observer ce qu’il se passe.
FANNY DESTENAY
Comment était constituée la cellule de crise ? Est-ce que vous aviez invité des élus d'opposition à vous rejoindre ?
AXELLE LEVELUT
Non, pas d’élus d’opposition à ce stade. Il y avait l'ensemble du cabinet du maire. À l'époque, j'étais cheffe de cabinet, donc il y avait la directrice de cabinet, la conseillère communication, une conseillère thématique, la directrice de la communication et puis un ou deux élus, de façon plus informelle, qui nous accompagnaient dans cette crise, pour avoir un peu plus de personnes autour de la table, parce que parfois, dans l'émotion et la rapidité d'action, c'est bien qu'on soit plusieurs à avoir la tête froide.
Là, il était à peu près 11h, une heure et demie après l’attaque. Nous nous sommes concentrés sur le premier point de presse. Il y avait déjà des articles qui circulaient avec des premiers éléments d'information, mais les informations étaient très floues. On ne connaissait pas exactement le nombre de victimes. Il n'y avait pas encore eu de communication officielle. Et au même moment, nous avons appris la venue d'Elisabeth Borne, alors Première ministre, accompagnée de Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur. Donc, tout de suite, ça a pris une autre ampleur, c'est-à-dire que ce n’était plus la préfecture qui pilotait, puisque ça devenait une visite ministérielle. Il n’y aurait donc aucune prise de parole avant sa venue. Elle était la personne d’autorité et donc la première à s’exprimer.
Lorsque la Première ministre est arrivée vers 13h30, elle a pris connaissance des informations que nous avions recueillies, puis elle a parlé à la presse vers 15h.
FANNY DESTENAY
En attendant, vous n’aviez aucun contact avec la presse, vous n’avez pas envoyé de communiqué de presse ou répondu aux questions des journalistes ?
AXELLE LEVELUT
Non. Ma conseillère communication presse nous avait rejoints à la préfecture pour, justement, commencer à recueillir l'ensemble des demandes presse, que ce soit téléphoniques ou physiques. Il y avait une très forte pression médiatique, déjà à ce moment-là. Mais nous ne faisions que recenser les demandes, auxquelles nous avons répondu plus tard. Donc, après l’arrivée de la Première ministre, elle a échangé à huis clos avec le préfet, le maire, les autorités locales et ensuite elle est allée saluer les primo-intervenants, en particulier les forces de sécurité qui étaient intervenues sur l'incident. Cette séquence s’est terminée par le point presse devant les marches de la préfecture.
À la suite de son allocution, nous avons pris le relais sur les questions supplémentaires qui étaient adressées au parquet ou au maire. C’est à ce moment-là que le maire a pu exprimer toute son émotion face à la gravité de la situation.
Évidemment, ce sont des choses qui ne s'improvisent pas, c'est-à-dire que l’allocution du maire avait été préparée en amont avec lui. Elle était extrêmement millimétrée. J'avais demandé à l'équipe qui était à l'Hôtel de Ville de préparer des premiers éléments de langage, et après, nous avons retravaillé le discours avec le maire sur place.
FANNY DESTENAY
Avez-vous fait appel à un cabinet de communication de crise ?
AXELLE LEVELUT
Il n'y a pas eu besoin. J’avais fait une formation en communication de crise. Et j'ai travaillé dans un service de communication de crise dans un grand groupe nucléaire. J'ai également vécu un certain nombre de situations de crise dans le milieu politique. Pas du tout de cette nature, mais en tout cas, il y avait des réflexes qui étaient là. Mais c’est important à ce moment-là, si on ne se sent pas capable de maîtriser les événements, de se faire accompagner, parce qu’il est nécessaire d’avoir une personne qui a les bons réflexes dans l’équipe.
FANNY DESTENAY
Aviez-vous des protocoles au sein de la mairie en cas d’incident ?
AXELLE LEVELUT
Nous avons les documents obligatoires pour les collectivités, qui sont des plans de gestion de crise. Ils sont demandés par l'État et partagés avec la préfecture, ce qui permet, en cas de catastrophe naturelle ou de crises dites prévisibles, de lancer des scénarios identifiés à l’avance.
Mais dans une crise, par définition, il y a toujours une grosse part d'improvisation, de bon sens et de sang-froid à avoir pour agir de la bonne façon. Je pense qu'on peut avoir les meilleurs protocoles du monde d'un point de vue technique, lorsqu’il y a l’émotion, qu’il y a la situation, il faut surtout savoir observer, comprendre la situation et réagir.
FANNY DESTENAY
À ce stade-là, quelles étaient vos relations avec les autres élus ?
AXELLE LEVELUT
Il y a des contacts à plusieurs niveaux, l'essentiel, c'était vraiment la maîtrise de l'information. Donc, l’important était de donner des éléments de façon régulière, mais sans jamais dépasser la véracité de la situation. C'est-à-dire qu'on donnait les éléments qu'on avait à l’instant T, sans présager la suite. Dès que nous avions de nouveaux éléments factuels, nous les partagions à nos élus en interne, que ce soit sur des boucles courriels ou des boucles de messagerie instantanée.
Le soir même, nous avions réuni l'ensemble des élus du conseil municipal pour partager les faits, partager l'émotion ensemble et aussi, parler de l'événement que nous allions organiser le dimanche. Les maires ont choisi d'organiser un moment de rassemblement.
Aussi, j'insiste là-dessus, mais c'est extrêmement important d'avoir une veille médias et réseaux sociaux pour voir vers quoi tend le débat. Parce que nous avions une très forte pression médiatique tout au long de la journée, pour nous rendre sur des plateaux le soir, ou faire des matinales, et notamment des matinales de très grandes radios le lendemain. Et dans ce cas-là, ce n'est vraiment pas simple de refuser un plateau télé ou une radio. Nous avions constaté dans notre veille que le débat médiatique ne portait pas sur l'émotion qu'avaient vécue les Annéciens, mais sur la question du droit d'asile. La question était : qu'est-ce que faisait cette personne-là, à Annecy ? Question tout à fait légitime, mais ce n'était pas le sujet du maire. Lui, il était là pour être aux côtés des Annéciens. Il était extrêmement bouleversé par ce qui s’était passé et il devait avoir un discours rassurant et être présent pour la population.
Je pense que c'est très bien que les députés se soient saisis du débat sur le droit d'asile parce que c'est tout à fait de leur niveau et dans leurs prérogatives. Ce n’est pas notre sujet à nous. Si le maire s’était rendu sur une radio, il aurait très facilement pu tomber dans le piège et répondre à des questions qui ne relevaient pas du tout de ses compétences.
Notre réaction n’a malheureusement pas été comprise par tout le monde. Certains élus de chez nous ne comprenaient pas pourquoi on refusait ce type de demande presse. Mais c'était vraiment important pour nous de rester en toute humilité dans le rôle du maire.
C'est un premier enseignement qui est intéressant. Et le deuxième enseignement, par rapport à la pression médiatique, sur lequel il nous a fallu beaucoup de sang-froid, c'est le témoignage des deux agents de la ville qui sont intervenus de façon héroïque. Au moment où la presse a besoin justement d'héroïser certaines personnes pour raconter une histoire, le rôle du maire est de protéger ses agents publics. S’ils avaient voulu parler spontanément à la presse, ça aurait été différent, mais ce n’était pas le cas. La responsabilité du maire, en tant qu'employeur, c'est également de protéger ses agents. Là aussi, ça n'a pas été simple. Ils ont presque été harcelés. Les journalistes ont réussi à obtenir leurs coordonnées, ils ont essayé par plusieurs voies de rentrer en contact avec eux. Nous avons tenu à les préserver quoi qu’il arrive. Ça, c’était pour la première journée.
FANNY DESTENAY
Est-ce que pour la première nuit, vous aviez organisé une astreinte ? Ou vous vous êtes seulement donné rendez-vous le lendemain ?
AXELLE LEVELUT
Un élément important à vous donner : dès l'après-midi, le parquet antiterroriste avait écarté tout risque terroriste et confirmé que c'était un acte isolé. À partir de ce moment-là, tout le monde a un peu soufflé malgré l’attente des états de santé des victimes hospitalisées. Mais, a priori, il n’y avait plus de risque de nouvelle attaque. Le premier jour, nous avons quitté les ordinateurs vers minuit. Donc non, nous n’avions pas organisé de veille 24h/24.
Le lendemain matin, nous avons appris rapidement que le président de la République allait se rendre à Annecy. De nouveau, c'est le protocole de l'État qui a pris le dessus pour l'organisation de la venue du président de la République. Le protocole était plus ou moins similaire à celui pour la venue de la Première ministre : rencontre avec les autorités locales et rencontre avec les primo-intervenants. La préfecture a tenu à inviter de façon la plus large possible tous ceux qui avaient été présents le premier jour. Il y a eu un petit mot du président de la République adressé à toutes ces personnes-là, ce qui a été extrêmement apprécié.
Ensuite, le parquet a continué de communiquer jusqu'au samedi. À chaque fois qu'il y avait de nouveaux éléments sur l'enquête, il communiquait. Nous, on n'était pas apporteurs d'informations de façon officielle. Donc, le lendemain de l’attaque, le 9 juin, nous avons commencé à organiser le rassemblement du dimanche 11. Pour cet événement, nous avons envoyé un communiqué de presse pour annoncer le rassemblement et, à ce moment-là, nous avons commencé à accepter les interviews.
L’attention média s’est poursuivie jusqu’au lundi matin, et après, ça s'est estompé.
FANNY DESTENAY
Dès le lendemain, il y avait des plateaux télé qui se sont délocalisés sur le Pâquier, en extérieur. Est-ce que vous avez coordonné leur venue ?
AXELLE LEVELUT
Non, pas du tout. Je ne pense pas que la préfecture ait été sollicitée non plus. Je pense que les plateaux se sont spontanément installés en duplex sur le Pâquier. Évidemment, en temps normal, ce sont des choses qui nécessitent des autorisations. Mais là, la question ne se posait pas. Donc nous avons laissé faire.
En revanche, pour l’événement du dimanche 11 juin, nous avons dû gérer les relations avec la presse pour que les cadreurs et journalistes aient une place de choix pour la cérémonie, une estrade ou une place surélevée, à la bonne distance de la scène pour pouvoir capter ce moment dans les meilleures conditions.
Le maire a également passé beaucoup de temps avec les Annéciens pendant ces deux jours. Les habitants étaient présents aux abords de la préfecture dès le début, donc il a pu échanger avec eux pour partager son émotion. Il s'est également rendu dans l'école qui était à proximité de l’attaque. Évidemment, les enfants et les parents d'élèves étaient très inquiets et remués. Le maire a passé du temps avec le corps enseignant et avec les parents d'élèves et les enfants pour parler de ce qui s'était passé.
Nous avions mis des outils d'écoute psychologique qui ont été activés tout de suite, que ce soit pour notre personnel qui travaillait dans cette école-là, mais aussi pour tous les agents qui en ressentaient le besoin. Nous avons 3 000 agents, dont la plupart travaillent dans les espaces verts, à la propreté, à la police municipale. Ils sont au contact de la population au quotidien et ils pouvaient se sentir vulnérables.
On voulait également organiser un temps fort en interne, à la fois de reconnaissance, de remerciements des agents qui étaient intervenus, mais aussi se rassembler pour évoquer ce qui s'était passé. C’était prévu en juillet, mais à cause des émeutes à la même période, ça n'a pas pu se faire.
FANNY DESTENAY
Est-ce que vous avez fait un bilan après la crise, pour voir ce qui s’est bien déroulé et ce qui pourrait être amélioré en cas de crise similaire ?
AXELLE LEVELUT
Je pense honnêtement que je n’aurais pas pu espérer mieux de la part du maire et des élus. Tout le monde a été très à l'écoute de ce qu'on demandait. Moi, je voulais une forte maîtrise de l'information, qu’il n'y ait qu'un seul canal, que personne d’autre que le maire ne s'exprime. Tout le monde a très bien respecté les consignes. Aussi tout le monde était sous le choc, donc je n’ai pas eu à gérer d'égos mal placés ou qui auraient pu être prépondérants.
En revanche, j’étais la seule à avoir de l'expérience dans la gestion de crise. Je pense que c'était notre fragilité. Il faudrait qu'on mette en place la formation à la gestion de crise plus largement parce qu'il y avait beaucoup de choses qui reposaient sur mes épaules. Si je n’avais pas été présente, ça aurait été beaucoup plus compliqué, je pense. C'est vraiment en toute humilité que je le dis, mais c'était vraiment une chance que j’ai été là avec mon expérience et mes connaissances de gestion de crise. Cependant, c'est beaucoup trop fragile pour un système de reposer sur les épaules d'une seule personne.
C'est vraiment important d'organiser la gestion de crise. Dans les collectivités, les équipes politiques des cabinets sont très peu associées aux exercices de crise qui sont organisés par la préfecture ou par les autorités, alors même qu'on était au cœur de la communication de crise. On l’a vu, avec l’incident de juin dernier.
L'État est une très belle machine, très sophistiquée. Il y a des procédures de crise, elles existent. Les exercices de crise, ils existent. Les gens sont entraînés. Mais nous, en tant que collaborateurs de cabinet, nous n’avons pas accès à ces formations. Je pense qu'on gagnerait collectivement à remettre les cabinets des élus dans les exercices de crise pour accompagner justement ces élus qui, eux, sont en contact direct avec les médias et la population.
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