INTERVIEW de Célia BAROTH
Reporter police-justice chez CNEWS, en charge de l’affaire du petit Émile.
Affaire du petit Émile au Haut-Vernet : Le 9 juillet 2023, le jeune Émile, âgé de 2 ans, est porté disparu au Haut-Vernet, une commune de 200 habitants, dans les Alpes-de-Haute-Provence. François Balique en est le maire depuis 2020.
FANNY DESTENAY
Quel est votre rôle chez CNEWS et quel est votre avis sur la relation qui existe entre les élus et les médias en période de crise ?
CÉLIA BAROTH
Je suis reporter police-justice à la rédaction de CNEWS, j’ai traité l’affaire du petit Émile. J’ai également couvert l’attaque à Annecy [1] ou encore les derniers faits divers dans les villes de Viry-Châtillon ou Châteauroux [2]. Avec le temps, j’ai découvert les codes de la communication.
FANNY DESTENAY
Dans le cas de l'affaire Émile, le drame a eu lieu dans une commune d’à peine 200 habitants. À mes yeux, c’est une situation de crise qui peut aider d’autres élus, si un drame arrivait dans leur commune. Pourriez-vous me raconter la chronologie des faits, ainsi que votre relation avec le maire ou son agence de communication, s’il a souhaité se faire aider ?
CÉLIA BAROTH
Le dimanche 9 juillet 2023, nous avons reçu l'avis officiel qui nous informait de la disparition d'Émile. Nous nous sommes immédiatement rapprochés des autorités de communication de la gendarmerie, car le fait divers dépendait d’une commune. Pour Émile, la gendarmerie était notre premier interlocuteur. Ils nous ont donné les informations factuelles, c'est-à-dire : qui a disparu et combien d'équipes étaient mobilisées. À la suite de ce qu'ils nous ont dit, nous avons décidé de nous rendre sur place.
Quand on sait que l’affaire est située dans un territoire rural, on se rapproche du maire. On essaye d’obtenir sa réaction, mais on sait que le maire ne va pas pouvoir nous en dire beaucoup à cause du secret de l'enquête. En général, les premiers échanges qu'on a avec l'élu local sont pour savoir s'il va prendre la parole officiellement, savoir également s'il y a un arrêté municipal pour empêcher les personnes, et donc les journalistes, de rentrer sur la commune et de se rapprocher du lieu du drame. Le maire va être tellement sollicité que plus vite il communiquera, mieux ce sera. En même temps, nous comprenons que c'est compliqué pour lui parce que parfois il n’a pas plus d’informations que nous. Tant que le procureur de la République n'a pas donné de détails, c'est compliqué d’avoir plus d’informations. Dans une affaire comme celle du petit Émile, on va solliciter trois institutions : le parquet pour le volet judiciaire, la préfecture pour le côté organisation, administration, connaître le nombre d'effectifs déployés, la question des contrôles routiers… Et le maire, à l'échelle locale, par rapport aux riverains ou encore à la famille des victimes.
Je me souviens qu’au début, il était difficile d’accéder au Haut-Vernet, la commune avait fermé l’accès pour la tranquillité des familles. Le maire était notre seul interlocuteur. Il parlait au nom de la famille et des autres habitants. Il le faisait aussi pour éviter qu'on ne soit trop intrusifs avec la famille. Ce qui était difficile, c'était de voir le maire particulièrement touché par le drame. Il connaissait l'enfant, donc il devait se détacher aussi de son expérience personnelle avec Émile pour prendre la posture du représentant de la commune.
Ce qui était frappant également, lors de la disparition d'Émile, c'était le silence qu’il y avait autour de cette affaire. On avait l'impression que personne n'osait parler. Seul le maire acceptait de communiquer. Je l’ai revu il y a peu de temps, lors de la reconstitution, le 27 mars 2024, et on sent qu’aujourd’hui, il est plus en confiance pour s'exprimer face aux médias et pour gérer la situation. J'ai eu l’impression d’avoir affaire à un autre maire. Dans sa posture face aux journalistes, il était avenant. Il a anticipé notre venue. Il savait que lors de la reconstitution des faits, ce sont encore des dizaines de journalistes qui allaient être présents dans sa petite commune. Il nous a gentiment ouvert la salle qui permet à la mairie de faire son conseil municipal pour qu'on soit au chaud. Il a vraiment eu un traitement particulier pour les journalistes, pour qu’on se sente bien et que ses administrés ne soient pas trop impactés. Dans la salle, il nous a même allumé un feu et il nous a indiqué à quelle heure il allait prendre la parole. On avait vraiment un maire qui, aussi pour le bien de l'enquête, a pris les devants. Quand le drame est arrivé, c’était difficile pour lui, il faut se mettre à sa place. Pour rappel, ce sont des centaines de citoyens qui sont venus pour aider à la recherche d’Émile et faire la battue, des dizaines de médias français, mais aussi internationaux. On a vu la presse allemande et la presse belge couvrir cet événement. Et en même temps, en période estivale, il y avait la venue des touristes. Le maire était sur la réserve et sa communication était restreinte, mais il se rendait quand même disponible. Il acceptait tout de même de répondre aux journalistes, même s’il ne pouvait pas révéler les détails de l'enquête. Quand on l’interrogeait, on savait que ses déclarations ne seraient pas révélatrices de l'enquête. Il n’allait pas nous donner de scoop. Mais il a pu nous décrire l'environnement, nous décrire la famille. C’est ce qui va nous permettre de donner un peu plus de caractère à nos articles, au-delà des seules sources judiciaires. Les déclarations du procureur de la République vont être très factuelles, très professionnelles.
En général, interviewer le maire peut sembler plus facile, et pourtant, il faut se faire prier pour obtenir une parole, car sans éléments sur l’enquête, le maire n'a pas envie d'aller sur un terrain glissant. Pour la prise de parole, nous, les journalistes, préférons une communication unique du maire parce qu'au niveau de la concurrence avec nos confrères, on sait qu’on aura tous la même version. Souvent, le plus pratique c’est la conférence de presse, soit grâce à une déclaration du maire, soit par une série de questions-réponses. En revanche, les maires communiquent parfois plus avec la PQR (Presse Quotidienne Régionale) parce que ce sont leurs interlocuteurs habituels. Dans l’affaire Émile, le Dauphiné Libéré a eu beaucoup plus d'informations ou, du moins, plus rapidement que nous. Déjà, en termes de logistique, le temps que nous arrivions sur place, le correspondant Dauphiné Libéré était déjà en relation avec le maire.
Pour faciliter la communication, le maire avait bien voulu nous communiquer ses coordonnées. Il a toujours été disponible pour répondre, même par SMS, sans forcément nous donner de paroles. Il était très impliqué et j’imagine qu’il attendait aussi que cette affaire avance pour soulager ses administrés, parce qu’il faut reconnaître que c'était dur pour tout le monde d'accueillir autant de médias. Et puis il faut imaginer leur quotidien, c’étaient des sollicitations perpétuelles. Toute la journée, on demandait s'il y avait du nouveau ou une avancée. Malheureusement, on est pénibles pour ça. On le sait. On demande beaucoup de choses aux élus. On compte sur eux parce qu'on sait que les institutions judiciaires ne vont pas donner d’informations tout de suite.
FANNY DESTENAY
Vous disiez que le maire avait donné ses coordonnées personnelles. C’était seulement à quelques-uns ou à tous les médias sur place ?
CÉLIA BAROTH
Nous avons tous eu le même numéro et il répondait à tout le monde. En plus, pour l’affaire Émile, le maire a fait sa communication tout seul. J'ai toujours eu affaire à lui directement, là où dans d'autres communes, je parlais au cabinet du maire, comme à Nanterre par exemple, avec l’affaire de Nahel [3]. Si je compare également avec l’affaire de Shamseddine [4] à Viry-Châtillon, c’était très différent. Le maire venait sur les plateaux télé, il prenait la parole, il pleurait. Il a osé pleurer ! C’est très rare. Le point commun de ces maires était leurs émotions. On sent que ce sont des élus du terrain, des élus qui connaissent les personnes qui viennent d'être touchées par un drame. Que ce soit le maire de Viry-Châtillon ou le maire du Haut-Vernet, ce sont des personnes qui sont âgées, qui ont de la bouteille, et qui, à l’échelle locale, ont vraiment l’image du maire qui va prendre les choses en main.
FANNY DESTENAY
C’est vrai que le maire de Viry-Châtillon a eu une communication marquante en montrant ses émotions. Il a presque quitté son rôle de maire pour être le porte-parole de sa commune.
CÉLIA BAROTH
Exactement, le porte-parole de la famille, de son village. C'était le bouclier. Dans une configuration très rurale, le maire va souvent se montrer en tant que bouclier plutôt qu'en communiquant. Il ne va pas faire de récupération politique. On avait à côté de nous cette figure institutionnelle très droite, très sérieuse et en même temps qui allait réconforter les jeunes et qui pleuraient avec eux. Avec cette double communication et cette double casquette. On s’est rendu compte que le maire était en première ligne. Il doit tout encaisser et on compte beaucoup sur lui, voire beaucoup trop, même au niveau des médias.
Notre réflexe va toujours être d’appeler la mairie. On va demander si le maire a une parole à nous transmettre. Alors que finalement, ce n’est peut-être pas de son ressort. Peut-être qu’il ne connaît pas les personnes concernées, qu’il ne connaît pas l'affaire. Les médias comptent beaucoup sur les maires pour donner des éléments de langage, connaître l'émotion et pour savoir s'il y aura un rassemblement. En général, les maires vont également demander qu’il n’y ait pas de récupération politique.
FANNY DESTENAY
Comment réagissez-vous justement quand vous voyez qu’un élu essaye de faire de la récupération politique sur un drame qui vient de se produire ?
CÉLIA BAROTH
C'est compliqué, tout dépend du thème qu’on aborde. C'est vrai que c'est toujours une question qui revient dans nos interviews. Les élus doivent se préparer à cette question parce que nous allons toujours demander comment on aurait pu éviter le drame. À Viry-Châtillon, la communication du maire est une parfaite illustration de la gestion de crise, parce qu'il a montré son émotion et, en même temps, il a pointé du doigt le gouvernement, il a fait passer des messages. Il a bien géré l’ensemble.
Mais après, c'est vrai que quand une crise impacte un élu local, on voit aussi que sa carrière politique évolue. Je pense à Vincent Jeanbrun, le maire de L'Haÿ-les-Roses qui a été touché par une attaque à son domicile [5]. Il a sorti un livre immédiatement après l’incident et aujourd’hui, il est sur une liste pour les élections européennes de 2024 (NdA : l’entretien date d’avril 2024. Depuis, Vincent Jeanbrun a été élu député lors des élections législatives de juin 2024). Une fois le temps de l'émotion passé, c'est le temps des actions. C’est le temps de la position politique, celui de la reconstruction... et aussi de la réputation. Car ces maires deviennent les porte-drapeaux de certaines causes. Depuis, Vincent Jeanbrun est un porte-parole des violences contre les élus. Quand il se passe un nouveau drame de ce type, nous faisons appel à lui pour parler dans les médias, pour nous raconter ce qu’il a vécu. Je pense aussi à Yannick Morez [6], le maire de Saint-Brévin-les-Pins qui a vu sa maison brûler parce qu'il s'était positionné pour la création d’un centre d’accueil pour migrants. C’est aussi l’un de nos élus de référence sur cette cause.
FANNY DESTENAY
Est-ce que vous avez déjà eu des élus de l'opposition qui ont profité des médias pour étaler leurs problèmes internes ?
CÉLIA BAROTH
Oui, lors d’un hommage, un élu de l’opposition nous avait contactés et, tout de suite, nous avions compris que le message ne serait pas sur l’émotion, mais plutôt électoral, il était en campagne.
FANNY DESTENAY
Et dans ce cas, comment réagissez-vous ? Est-ce que vous partagez leur parole, même si vous percevez clairement la récupération politique ?
CÉLIA BAROTH
C'est compliqué quand l’élu me partage des choses sensées et que je sens que c’est véridique, on peut partager. Mais dans le cas que je mentionnais, lors d’une marche blanche, ce n’était pas le moment. Je sais qu’on n’a pas utilisé les propos. Tout dépend du contexte de l’événement. Si on est là pour parler de l’émotion et de ce qu’il se passe sur le moment, on ne sera pas là pour pointer les erreurs des uns et des autres. Mais c’est aussi important de recueillir la parole de l’opposition parce que, lorsque le maire s’exprime, nous ne sommes pas là non plus pour servir la soupe à la mairie. On a besoin de connaître les différents points de vue, les différentes versions.
Sur l’affaire Émile, ça s'illustre moins, mais à Viry-Châtillon, on était sur une ingérence sécuritaire. Et je pense que la contradiction est un point de vue qui mérite d'être publié. Alors même si, selon le moment de l’interview de l’élu d’opposition, on ne va pas passer la séquence à l’antenne, il est toujours important de l’interroger. C'est aussi notre travail à nous, en tant que journaliste, de confronter les sources.
Pour revenir sur la communication du maire, il est important qu’il s’exprime. Il doit prendre son temps, mais pas trop non plus, parce que c’est là où les fake news vont se lancer et que l’opposition va récupérer la parole. Étonnamment, plus les maires vont communiquer, moins ils seront sollicités. Même si c'est pour nous faire patienter, même s’ils nous disent simplement : « je vais m'exprimer dans les heures à venir ».
Il faut qu'ils s'entourent bien et prennent le temps, mais qu'ils communiquent et qu'ils n'aient pas peur. Même le peu d'informations qu'ils auront, ce sera déjà une information, même s'ils nous disent seulement : « je suis désolé, je n'ai pas d'informations à communiquer, mais je vous donne quand même mon ressenti ».
Et finalement, bien que les journalistes aient la puissance de communication, les élus ont les cartes en main, car ce sont eux qui organisent et orchestrent la communication en dehors des institutions judiciaires.
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[1] Attaque au couteau à Annecy : Le 8 juin 2023, un individu attaque au couteau six personnes, dont quatre enfants en bas âge, à Annecy, en Haute-Savoie. Aucune victime ne décédera des suites de leurs blessures. Le caractère terroriste de l’attaque est rapidement écarté.
[2] Décès de Matisse à Châteauroux : Le 27 avril 2024, Matisse, 15 ans, meurt des suites d’une violente agression par des jeunes de son âge. Les faits se sont déroulés à Châteauroux et sont survenus trois semaines seulement après le décès de Shamseddine et une autre agression, celle de Samara, tabassée par des camarades devant son collègue.
[3] Décès de Nahel à Nanterre : Le 27 juin 2023, Naël, 17 ans, meurt à la suite d’un tir de policier. Au volant d’une voiture, l’adolescent avait été arrêté par la police après une course poursuite, puis il avait de nouveau accéléré devant les agents. La vidéo du tir à bout portant avait particulièrement choqué le grand public. À la suite de ce drame, des émeutes urbaines ont éclaté dans toute la France durant une semaine, avec pour conséquence des dégâts matériels estimés à presque 800 millions d’euros.
[4] Décès de Shamseddine à Viry-Châtillon : Le 5 avril 2024, le jeune Shamseddine, 15 ans, décède des suites de ses blessures. Cinq jeunes du même âge l’auraient roué de coups à Viry-Châtillon, en Essonne. Le maire, Jean-Marie Vilain, a marqué le public en montrant ses émotions et en étant très proche des habitants de la ville.
[5] Durant les émeutes de l’été 2023, et dans un contexte de montée de la violence envers les élus, le domicile de Vincent Jeanbrun, maire de L'Haÿ-les-Roses, est attaqué à la voiture bélier. Absent de son domicile, ce sont ses enfants et sa femme présents dans la maison qui seront blessés lors de leur fuite. Le 2 juillet 2023, une enquête pour tentative d’assassinat est ouverte.
[6] En mai 2023, le maire de Saint-Brevin-les-Pins, Yannick Morez, démissionne de son mandat après avoir subi des menaces et l'incendie de ses véhicules devant son domicile, car il s’était positionné pour l’accueil d'un centre pour demandeurs d'asile.
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