INTERVIEW de Fabien AUFRECHTER
Maire de Verneuil-sur-Seine, commune de 17 000 habitants. Élu à 28 ans.
FANNY DESTENAY
Fabien Aufrechter, vous êtes un jeune maire. Sur quels réseaux sociaux êtes-vous ?
FABIEN AUFRECHTER
Je suis sur TikTok, Twitter, Instagram et Facebook. Et la commune en plus est présente sur YouTube. Sur YouTube, notre communication est très institutionnelle. Nous publions la retransmission des conseils municipaux ou des petites pastilles de présentation de la ville, par exemple. Mais c’est seulement la ville qui est mise en avant, pas moi en tant qu’élu.
FANNY DESTENAY
Et sur TikTok, quels sont les contenus que vous publiez ?
FABIEN AUFRECHTER
En fait, pour refaire l'histoire, au début du mandat, je regardais un peu comment déployer la stratégie des réseaux sociaux de la ville. Et toute la difficulté était de toucher les bonnes cibles, puisque nous avons des réseaux sociaux qui sont extrêmement segmentés aujourd'hui. Twitter, par exemple, ne s'adresse plus du tout à nos habitants.
Nous avons des réseaux sociaux comme Instagram qui fonctionnent de mieux en mieux parce que les jeunes s’en sont emparés et aujourd'hui, le nombre d’interactions sur Instagram dépasse presque celui sur les comptes Facebook. Même si Facebook reste encore la plateforme la plus fréquentée à l’échelle locale. Ce réseau s'adresse de plus en plus à des populations âgées.
Sur Facebook, il y a les comptes personnels, moi j'en ai un, mais je ne l'utilise quasiment pas. Puis il y a les pages, en tant que maire, c’est celle que j'utilise le plus. Et enfin, il y a les groupes Facebook qui vont rassembler les habitants par affinités ou par zones. Ces groupes sont difficiles à contrôler parce qu’ils sont souvent gérés par des tierces personnes. Ils ne sont pas gérés par la mairie. Dans ce contexte-là, nous n’avons pas la maîtrise des rumeurs, des bêtises ou des polémiques.
FANNY DESTENAY
Ces groupes-là sont des groupes d'habitants qui se réunissent par thème ? Par exemple, le club de foot, le club de lecture, la pétanque… ?
FABIEN AUFRECHTER
Nous avons un groupe qui s’appelle : « Tu sais que tu viens de Verneuil si », un autre groupe qui se prétend plus axé commerçants, mais qui en réalité est une soupape pour notre opposition. Et d’autres groupes sont spécialisés par affinités comme ceux pour les sportifs, par exemple. Il s’agit toujours de contenus ciblés, mais il y a de moins en moins de monde et de réactions. Ce sont toujours les mêmes personnes qui interagissent, avec une lassitude pour l'ensemble des membres.
C'est dans ce contexte de renouveau que je cherchais à voir ce que nous pouvions faire. Nous avions développé Instagram, nous étions sur Facebook, nous avions repris en main la chaîne YouTube municipale, donc nous avions quadrillé le territoire numérique. Et puis, partant d’une blague que m’avait fait un alternant à l'époque, on s’était dit : « Et pourquoi pas une chaîne TikTok ? » « Elle aurait une ligne éditoriale complètement différente, qui ne serait pas sur la ville, mais qui serait sur le rôle du maire et son quotidien, à base de pastilles humoristiques et de vidéos pédagogiques, pour rester dans le format du réseau social ».
FANNY DESTENAY
Est-ce que vous arrivez à cibler les utilisateurs sur TikTok ? Est-ce que vous ne trouvez pas ça plus facile de parler aux bonnes personnes sur Instagram et Facebook ?
FABIEN AUFRECHTER
Alors oui et non. Oui, en règle générale. Non, dans mon cas, car je capitalise sur la structure démographique de ma ville, qui est marquée par un établissement scolaire de 3 200 jeunes, de l’âge de ceux qui utilisent TikTok.
Force est de constater que chaque vidéo TikTok devient immédiatement virale en ciblant globalement les collégiens et les lycéens. Mais je me suis rendu compte que ceux qui me parlaient de mes vidéos étaient étonnamment des personnes de 40 à 60 ans. Pas du tout les plus jeunes. Pourquoi ? Parce que souvent, ce sont les plus jeunes qui voient mes vidéos, mais ensuite ils les montrent à leurs parents ou leurs grands-parents, qui eux, m’en parlent au marché le dimanche. Donc, je ne peux pas garantir que ce sont toujours des habitants qui regardent mes vidéos, mais j'ai une interaction qui est assez élevée avec mes administrés.
Sur TikTok, chacune des vidéos ne fait pas moins de 1 000 vues et parfois, on arrive sur des chiffres impressionnants. Sans aller jusqu'aux premières vidéos qui étaient montées jusqu'à 600 000 vues, on a quand même des vidéos qui font 20 000 ou 30 000 vues assez régulièrement.
FANNY DESTENAY
Et pour parler aux personnes qui n'ont pas les réseaux sociaux, est-ce que vous avez des actions particulières ?
FABIEN AUFRECHTER
Nous avons d'abord refait entièrement le journal. Quand je suis arrivé, nous avions une petite gazette, mais on en a fait un vrai magazine qui est publié tous les deux mois. Nous avons un contenu de qualité, avec une charte complètement renouvelée. Il est disponible sur le site Internet et nous le distribuons dans les boîtes aux lettres. C'est vraiment ce qui fonctionne le mieux.
Et là, je travaille sur la refonte de tous nos outils digitaux. Nous venons de lancer un nouveau site Internet hyper accessible. Nous avons vraiment insisté sur l'accessibilité pour tous les handicaps. Et en complément, nous avons lancé un guichet unique numérique afin que tous les échanges avec les habitants passent par cette plateforme. Ça nous assure une meilleure réactivité et un meilleur contrôle. L’objectif à terme est de faire disparaître les courriels dans notre communication avec les habitants pour privilégier une plateforme facile d’usage.
FANNY DESTENAY
Est-ce que vous utilisez le journal pour votre communication personnelle, pour vous mettre en avant ?
FABIEN AUFRECHTER
Pour le coup, le journal de la ville, c'est de la communication publique, pas politique. En tant que maire, je ne l'utilise pas pour valoriser ce que je fais. Je l'utilise vraiment pour valoriser la ville et les actions de notre équipe municipale.
J'ai un dernier réseau social que je n'ai pas évoqué jusqu'à présent, qui est peut-être celui qui fonctionne le mieux. C'est LinkedIn. J'ai une double casquette public-privé alors j'utilise LinkedIn avec parcimonie, mais de manière assez efficace. Je me rends compte qu'aujourd'hui, LinkedIn est une vraie plateforme. J'ai beaucoup d'habitants qui me suivent.
En tout, j’ai environ 12 000 abonnés. C'est un réseau social qui fonctionne vraiment bien et qui permet de créer de l'interaction. Par exemple, il y a quelques temps, j'étais au salon VivaTech pour mon travail. J’ai fait un post sur LinkedIn et des habitants de ma commune sont venus me voir en personne sur le salon.
FANNY DESTENAY
Vis-à-vis de votre employeur, est-ce que vous pouvez publier ce que vous voulez sur LinkedIn : vos opinions ou des actions politiques, par exemple ?
FABIEN AUFRECHTER
Je ne fais pas de politique au sens politicien du terme sur LinkedIn. J’utilise ce réseau social professionnel avec les deux casquettes, municipale et privée. Mais plutôt pour valoriser des réflexions. Côté professionnel, je vais publier ma présence sur les événements ou ma vision de la tech, etc. Et côté maire, ce sera pour communiquer, par exemple, sur la refonte d'un nouveau quartier.
FANNY DESTENAY
Donc, au niveau de votre communication, vous êtes plus un porte-parole de la commune qu’un politicien qui donnerait son avis sur la politique nationale. Votre communication n'est pas clivante.
FABIEN AUFRECHTER
Tout à fait. Je ne veux pas prendre part aux débats nationaux, parce que je me définis d'abord comme un élu local. Je suis là pour valoriser ce qu'on fait sur la ville. Et dans ce sens-là, j'estime que ma place n’est pas sur les débats nationaux. Exceptionnellement, quand je le fais, c’est généralement sur Facebook. Ce n'est pas sur TikTok ou Instagram que je peux passer un message qui est long et détaillé.
FANNY DESTENAY
Est-ce que vous faites encore des actions de type « campagne », c'est-à-dire aller sur les marchés pour donner votre bilan, faire du porte-à-porte, rencontrer les habitants ou faire des réunions publiques ? Comment arrivez-vous à prendre le pouls de la population ? Savoir ce que les habitants pensent de vous.
FABIEN AUFRECHTER
D'abord, je fais beaucoup de réunions de quartier, des assises des professionnels, des commerçants, de la santé, etc. Pour moi, les réunions publiques sont très importantes parce que les gens ne se privent pas pour dire lorsqu’ils ont un problème.
Je fais également des permanences sur le marché. C'est simple, tous les dimanches à 11h, je fais un tour du marché. Les gens le savent. Je ne fais pas d'autres permanences exprès. Ils viennent me trouver quand ils ont quelque chose à me dire. Quand il y a un problème, ils le disent tout de suite.
Et la dernière chose, c'est une initiative de mi-mandat que nous avons portée. J'ai envoyé toute mon équipe sur le terrain, comme pendant la campagne, avec un questionnaire, un peu sur le format de la Grande Marche. Et les résultats étaient vraiment intéressants. L'enquête était assez détaillée et nous l’avons publiée par la suite.
Nous avons remarqué que sur des sujets, nous avions raison, sur d’autres, nous avions tort. Ce qui nous a fait réfléchir à notre politique. Les questions étaient seulement sur la commune, aucune n’était sur moi en tant que maire.
FANNY DESTENAY
Au niveau de vos relations avec la presse, est-ce que vous arrivez à obtenir des articles sur votre commune ?
FABIEN AUFRECHTER
C'est assez inégal et difficile. Lors de grosse actualité, on peut avoir un papier, mais c'est exceptionnel. La réalité, c'est qu'on a du mal à s'extraire de la presse locale. Mais c'est peut-être aussi ma faute et mon choix, parce que je ne cherche pas à prendre de positions politiques à l'échelle nationale non plus. Moi, j'essaie de parler aux habitants de ma commune.
FANNY DESTENAY
Dans votre communication en général, qu'est-ce que vous aimeriez améliorer ou quels seraient les points que vous aimeriez voir évoluer ?
FABIEN AUFRECHTER
Il y a trois choses sur lesquelles nous travaillons. La première chose, ce sont les formats plus longs. Je pense que les gens aiment bien les formats longs et pédagogiques, surtout quand les sujets sont complexes. Je le vois sur les réunions publiques. Elles durent trois heures, mais on aborde les sujets en profondeur. La deuxième chose, c'est peut-être plus de débats, parce que nous avons du mal à avoir des débats sur des sujets locaux en France : « pour ou contre la piétonnisation des centres-villes », « pour ou contre la gratuité des cantines »… Et puis la troisième chose, ça sera d’essayer de parler de nos succès.
FANNY DESTENAY
Je reviens sur le point 2. Lorsqu’on s’est rencontré, il y a quelques années, vous cherchiez une solution pour organiser des référendums consultatifs à l’échelle locale. Est-ce que vous avez avancé là-dessus ? Avez-vous trouvé une solution ?
FABIEN AUFRECHTER
Nous l'avons fait une première fois en 2020, au début du mandat pour un référendum local pour consulter les habitants sur la construction d'une route qui devait traverser une forêt. Nous avons réussi à faire le référendum et nous avons sauvé la forêt grâce à cette consultation. Nous avons également fait des budgets participatifs, ce qui n'existait pas sur la ville. Ça a fonctionné, mais nous avons vu que c'était très difficile d’engager l’ensemble des habitants.
Pour le budget participatif, entre le moment où on le lance et le moment où le projet naît, il peut se passer deux ans. C'est très frustrant parce qu'il faut des autorisations, etc. Par exemple, nous venons d’inaugurer un parcours santé sportif qui avait été lancé il y a trois ans suite à un budget participatif ; le temps des projets n’est pas compatible avec le temps de la communication à l’heure des réseaux sociaux !
FANNY DESTENAY
C'est peut-être aussi le moyen pour la population de se rendre compte des difficultés du maire et qu’effectivement, ce n’est pas facile de faire avancer les projets.
FABIEN AUFRECHTER
Je pense que oui, vous avez raison, mais c'est assez frustrant pour tout le monde. Et nous avons d'autres manières de consulter la population. Nous avons fait des consultations plus ciblées sur des noms de quartier, par exemple. Mais la meilleure solution reste d’aller rencontrer les habitants en porte-à-porte.
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