INTERVIEW de Jean-Noël BARROT
Ministre délégué chargé du Numérique de juillet 2022 à janvier 2024
et ministre délégué chargé de l’Europe entre février et septembre 2024.
Le 21 septembre 2024, il a été nommé ministre de l’Europe et des Affaires étrangères.
FANNY DESTENAY
En tant qu’ancien ministre chargé du Numérique, quel est votre avis sur TikTok, pensez-vous que les élus devraient se méfier de ce réseau social ou peuvent-ils l’utiliser ?
JEAN-NOËL BARROT
TikTok contrevient à deux grands principes que nous avons en Europe. Le premier est le respect des données personnelles et de la vie privée, puisqu'il a été démontré que certaines données des utilisateurs européens de TikTok transitaient par la Chine, qui est un pays avec lequel nous n'avons pas d'accord d'adéquation. Les accords d'adéquation, ce sont des accords comme ceux que nous avons avec le Royaume-Uni, avec l'Australie ou avec le Japon, qui permettent la circulation des données. Dans les pays que je viens de mentionner, il est considéré que la protection de la vie privée et des données personnelles est suffisante au regard de notre droit européen. La Chine, elle ne l’est pas aujourd’hui, c'est ce qui a conduit la Commission européenne à demander à TikTok de se conformer au RGPD (Règlement général sur la protection des données) et à mettre fin au transit de données personnelles à l'extérieur de l'Union européenne ou, en tout cas, vers des pays avec lesquels nous n'avons pas ces accords d'adéquation. TikTok s'est engagé à construire des infrastructures dédiées à l'hébergement et au traitement des données des Européens. Cette infrastructure est en cours de déploiement, mais elle n'est pas encore totalement active. Il y a donc aujourd'hui une conformité imparfaite de TikTok à nos règles de protection de la vie privée et des données personnelles. Le deuxième grand principe, qui aujourd'hui est violé par TikTok, c'est celui de la modération. Les plateformes doivent retirer les contenus illicites en ligne et protéger les utilisateurs contre les risques d'addiction ou les risques de désinformation. Ce sont des principes que l'Europe a ancrés dans le droit avec l'adoption d’un règlement, lorsque la France présidait l'Union européenne. Ce règlement, qui s'appelle le règlement sur les services numériques, impose à toutes les grandes plateformes de réseaux sociaux de se donner les moyens de modérer et de retirer les contenus illicites. Il leur impose aussi d'analyser et de corriger le risque que leur service fait peser sur la santé des utilisateurs et la qualité du débat public. Cette réglementation vient d'entrer en vigueur et la Commission européenne a d'ores et déjà lancé à l'encontre de TikTok des enquêtes qui ne se sont pas encore soldées. Est-ce que cette réglementation est suffisamment dissuasive ? On s'est aperçu que TikTok avait retiré son projet de TikTok Lite (une option de rémunération des utilisateurs pour le contenu qu’ils visualisaient) sous la menace de la Commission européenne, ce qui signifie que TikTok prend très au sérieux ces règles nouvelles qui s'imposent en Europe. Mais je pense que c’est le jour où la Commission européenne prononcera des sanctions à l'encontre d'un réseau social, comme X ou comme TikTok, qu'à mon sens, la crédibilité de ces nouvelles règles sera définitivement assurée. Donc, pour répondre à la question, ce n'est pas à nous, Européens, que l'on soit responsable politique ou non, d'adapter nos usages ou de quitter X ou TikTok. C'est à X ou à TikTok de quitter l'Europe, s'ils ne respectent pas nos règles. En somme, je ne recommande pas à ce stade de boycotter TikTok, ce qui laisserait la place à ceux qui, au contraire, sont bien établis comme Jordan Bardella ou comme la France Insoumise. En revanche, à titre personnel, je privilégie d'autres canaux de communication, qui me paraissent moins susceptibles de violer la vie privée, les données personnelles, ou encore le respect de la santé et de la bonne information des utilisateurs.
FANNY DESTENAY
Vous parliez justement de Jordan Bardella. En tant que ministre chargé de l’Europe et au lendemain du résultat des élections européennes, quel est votre avis sur l’influence des réseaux sociaux durant les campagnes électorales, en particulier celle que nous venons de vivre ?
JEAN-NOËL BARROT
Je crains que les réseaux sociaux, et en particulier TikTok, aient joué un rôle très important dans la campagne pour les élections européennes et dans les résultats, notamment parce que les jeunes se sont beaucoup informés à partir de TikTok. Je pense que le problème majeur des vidéos TikTok, telles que celles que Jordan Bardella a diffusées pendant cette campagne, c'est que les utilisateurs, et en particulier les plus jeunes, n'y perçoivent pas l'implicite. On voit des contenus qui, au premier regard, ne semblent pas particulièrement chargés politiquement. Mais c'est précisément parce que seule une lecture de ces vidéos, qui prendrait en compte le contexte plus large, permettrait de les comprendre pour ce qu'elles sont, c'est-à-dire des publicités qui ne révèlent pas le fond de la pensée ou les propositions du candidat.
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