INTERVIEW de Rémi Branco
Vice-président du département du Lot. Auteur de Loin des villes, loin du cœur.
FANNY DESTENAY
Vous êtes l’auteur de Loin des villes, loin des cœurs, sorti en février 2024. Quelles ont été vos motivations pour écrire cet essai qui aborde le sujet de la difficulté des partis de gauche à retrouver des électeurs dans les zones rurales ?
RÉMI BRANCO
Ce livre n'était pas du tout prévu. Au départ, je me suis lancé dans la campagne des élections départementales du Lot et mon seul objectif était de faire avancer mes idées, de servir les gens, d'abord sur mon territoire en tant que président du département, puis j’ai essayé de porter mes idées au niveau national en étant député. Il se trouve que j’ai été élu vice-président du Lot en 2021, mais je n’ai pas été élu député en 2022.
À l'issue de ces presque trois ans de campagne en continu, je me suis rendu compte du décalage entre ce que je vivais sur le terrain, ce que me racontaient les habitants et ce que j'entendais dans le débat national. Et je ne comprenais pas comment j’avais pu être si facilement élu aux élections départementales et ne pas l’être au niveau national. Je me demandais comment je pourrais un jour être un élu national de gauche si les discours de mon parti étaient en décalage avec les attentes des ruraux. À ce moment-là, j'en ai parlé avec Jérémie Pelletier, l’un des directeurs de la Fondation Jean Jaurès, ainsi qu’à un journaliste de Libération, avec qui j’avais l’occasion de discuter de la façon dont la gauche était perçue dans les campagnes.
La rédaction de Libération m’a proposé de contribuer à un dossier sur le sujet, via une interview. C’est à l'issue de cet article que j’ai découvert que le sujet était extrêmement relayé. Jérémie Pelletier m’a alors proposé d’écrire un essai en partenariat avec la Fondation Jean Jaurès pour développer mon idée. Voilà l’origine du livre.
Quand je l’ai écrit, il n’y avait pas d’objectif politique, je voulais seulement appeler la gauche à un sursaut. Le livre a été conçu dans une idée de stratégie politique globale, et non une stratégie de communication à titre individuel. Mais c’est certain qu’après coup, ça a été un levier pour ma carrière parce que, à partir du moment où on m’a proposé d’écrire un ouvrage, je voulais le rendre utile, aller au bout de ma démarche et le faire connaître.
Premièrement, j’ai eu une approche envers les habitants du Lot. Je voulais les mettre à contribution, échanger avec eux. Et deuxièmement, je voulais faire entendre mon message au niveau national et donc, d'un point de vue de la communication médiatique, je devais être visible. Je ne voulais pas proposer une contribution intellectuelle qui serait lue uniquement par quelques politiques et universitaires. Je voulais que ça touche autant les étudiants en sciences politiques que les habitants de mon village, que tout le monde puisse comprendre ce que nous vivons dans les campagnes. Cet objectif-là se traduisait par une écriture assez vive et un langage direct.
FANNY DESTENAY
Pour parler de ce sujet, vous avez écrit un livre. Est-ce que vous avez pensé à décliner vos idées sur un support vidéo, que ce soit sur les réseaux TikTok et Instagram ou sur la plateforme YouTube ?
RÉMI BRANCO
Je me suis posé la question pendant la campagne, mais il fallait d'abord que je puisse poser des idées, et ensuite, si elles avaient un écho, je voulais faire des réunions publiques. Déjà commencer par ça et puis, par la suite, sans doute faire des vidéos pour relayer mes idées.
FANNY DESTENAY
Est-ce qu’avant le lancement du livre, vous faisiez déjà des réunions publiques avec votre étiquette de vice-président du Lot ? Les réunions liées au livre vous ont permis de vous faire connaître, de faire connaître votre visage en dehors des campagnes dans votre département, c’est exact ?
RÉMI BRANCO
Il se trouve que dans mon parcours politique, j'ai été chef de cabinet de Stéphane Le Foll, alors ministre de l’Agriculture, et qu’à ce titre, j’étais relativement connu en France et sur mon territoire. Par exemple, j’ai été invité au Festival des idées l'été dernier, pour parler d’agriculture et pour parler du sujet de l’eau. Ma légitimité était celle d'un élu local qui pouvait parler des sujets d’agriculture.
Mais c’est vrai qu'aujourd'hui, c’est très différent, car on m'invite à venir débattre sur des positions politiques beaucoup plus larges que seulement mes sujets d’expertise.
FANNY DESTENAY
Lors de l’écriture du livre, est-ce que vous avez informé le Parti socialiste ? Est-ce que le parti était impliqué dans cette production ?
RÉMI BRANCO
Non, le lien avec le parti était mince. D’ailleurs j’ai été en contact avec d’autres partis de gauche dans cette aventure, pas seulement avec le Parti socialiste. Pour vous refaire la chronologie : après l’interview dans Libération en août 2023 puis un article de la Fondation Jean Jaurès, j’ai aussi fait une note pour les universités de rentrée du Parti Socialiste à Blois qui a beaucoup circulé et j’ai été invité aux universités d'été rurales des écolos le 7 octobre. Le livre n’était pas encore sorti, mais déjà mon expertise sur le sujet commençait à circuler.
Pour l’écriture du livre, j’en ai tout de même parlé à mon président de département. Puis j’en ai parlé à Carole Delga, avec qui j’avais fait la campagne des élections régionales. Je voulais savoir ce qu'elle pensait de cette opportunité. Et enfin, j'en ai parlé à François Hollande, parce qu'il se trouve qu’on se connaît depuis longtemps et que je voulais savoir, du haut de son expérience, s’il pensait que ça valait le coup d’écrire un essai. Les trois personnes en question m'ont toutes poussé à le faire parce que le sujet manquait dans le débat public à gauche.
En revanche, je n'ai pas demandé d’autorisation ni à mon premier secrétaire fédéral PS ni au premier secrétaire fédéral national, j’ai seulement demandé conseil aux personnes avec qui je travaillais au quotidien.
FANNY DESTENAY
Pour revenir aux réunions publiques liées à la sortie du livre, je sais que souvent les participants de ce type de réunion sont d’une moyenne d’âge élevée. Est-ce que vous avez une stratégie pour parler du sujet de la gauche dans les campagnes aux jeunes ?
RÉMI BRANCO
Je remarque que dans les réunions publiques auxquelles je me rends, il y a quelques jeunes. Ils sont effectivement minoritaires. Les jeunes s’engagent différemment. Il y a d'autres façons de défendre des causes, d'autres façons d'être utile à la cité que d'aller dans des réunions publiques.
Mais le message de ce livre est surtout adressé à la gauche qui est aujourd'hui en responsabilité. Mon objectif est d'aller voir ceux qui sont aujourd'hui aux manettes et de parler aux militants avec qui nous pourrions faire une forme de coalition pour défendre ce point de vue.
Dans un deuxième temps, lorsqu’on aura formulé des propositions, la question sera de savoir comment les porter, auprès de qui les porter et avec qui les partager. Lorsque beaucoup de personnes m'auront signifié leur intérêt pour ces idées-là, il faudra toucher un public plus large.
FANNY DESTENAY
Plus large, au niveau du département du Lot ou au niveau national ?
RÉMI BRANCO
Au niveau national. J’ai été agréablement surpris de voir que j’étais invité en Seine-Saint-Denis, dans le Val-d'Oise, dans des départements qui ne sont absolument pas ruraux ou encore du côté breton. Je vois que le sujet intéresse des élus urbains qui constatent que les problèmes évoqués sont similaires aux leurs.
FANNY DESTENAY
Sur la communication du livre, est-ce que vous avez utilisé les supports de communication du département ? Est-ce qu'à un moment, il y a eu une publicité, une tribune ou un article dans une newsletter ou autre part ?
RÉMI BRANCO
Non, jamais. Ce n'était pas mon intention, je ne mêle pas politique institutionnelle et politique personnelle.
FANNY DESTENAY
Vous disiez en début d’entretien que vous vous étiez présenté aux élections législatives de juin 2022. Comptez-vous vous présenter à nouveau en 2027 ?
RÉMI BRANCO
Je me battrai toujours pour que ma circonscription passe à gauche. Après, est-ce que ce sera moi ou quelqu’un d’autre ? On verra. Si c'est moi qui deviens député, j'en serais ravi, mais la question est de savoir s'il y aura une dissolution d'ici là et quelles seront les circonstances politiques[1].
Si je me suis présenté à la députation il y a deux ans, c'est parce que je voulais porter les idées qui sont nées dans ma ruralité au niveau national. Je n’ai pas changé d’objectif.
FANNY DESTENAY
Au niveau de votre communication personnelle, est-ce qu'il y a eu un changement entre vos premières campagnes en 2020 et aujourd’hui ?
RÉMI BRANCO
À l’époque, j’avais une communication très locale, très lotoise. De 2020 à la sortie de mon interview dans Libération à l’été 2023, j'étais en campagne dans le Lot, en quasi continu. Ce qui a changé depuis l'interview, c'est que je suis extrêmement sollicité pour faire des réunions publiques ici, des médias là… De fait, ma communication a changé. Aujourd’hui, dans les médias, on m’interroge plus sur la politique nationale.
Mais je veux trouver un équilibre. Il y a l'élu local, qui va au marché et fait des actions de terrain et le politique qui va sur les plateaux télé, c'est la même personne qui défend les mêmes idées. Je ne veux pas que les gens aient l'impression que j’ai changé, parce que ça arrive parfois avec des élus qui quittent les luttes locales lorsqu’ils obtiennent une notoriété nationale.
FANNY DESTENAY
Lorsque vous faisiez campagne dans le Lot, avant l’écriture du livre, quel support de communication utilisiez-vous ?
RÉMI BRANCO
Premièrement, je communiquais énormément via la presse quotidienne régionale, en particulier La Dépêche du Midi du Lot, mais aussi Actu Lot et certaines radios.
Le Lot est un département de 175 000 habitants avec deux circonscriptions seulement. C'est-à-dire que vous pouvez avoir, dans la presse quotidienne régionale, un aperçu de ce qui est fait sur l’ensemble du territoire. C'est un excellent outil de communication pour un élu local.
Deuxième élément, le département communique, en tant qu'institution, sur les réalisations des dispositifs qui sont mis en place, ce qui me fait des relais dans les médias locaux.
Troisièmement, j’utilise Facebook, car les habitants de mon territoire y sont assez largement connectés.
FANNY DESTENAY
Est-ce que dans votre expérience d'élu, toujours côté communication, vous avez eu des faux pas, des actions que vous ne recommenceriez pas ou que vous feriez autrement ?
RÉMI BRANCO
Pendant les élections législatives de 2022, France 3 Occitanie avait proposé un débat entre les candidats et Aurélien Pradié avait refusé. Je dirais que mon erreur aura été de ne pas médiatiser son refus. Ce n’est pas normal de refuser de débattre. Et ne pas en avoir plus parlé de mon côté, c'était une erreur de communication et une erreur politique parce que j’aurais pu mettre en avant mon opinion sur son bilan et sur ses actes politiques sur lesquels j'avais beaucoup à redire.
FANNY DESTENAY
Et du côté de vos succès en communication ?
RÉMI BRANCO
L’article dans Libération à nouveau. C’était le 7 août 2023. Ça a été le début pour moi. Il y a même eu un article sur l’article, où la journaliste a raconté comment s’est déroulée l’interview et a parlé de la sortie de mon livre.
Je me dis que je suis arrivé en peu de mots à dire les choses simplement et clairement. Je suis arrivé à soulever un problème, à le mettre à l'agenda médiatique, politique, sans non plus tomber dans une démagogie ou une agressivité. Donc, c'était pour moi une réussite. J’ai réussi à atteindre mon objectif : passer mon message sur le fond et sur la forme.
[1] Entretien fait le 16 avril, un mois et demi avant l’annonce de la dissolution du 9 juin 2024.
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